Le colloque international organisé à Abidjan du 09 au 11 septembre 2021 par le Centre Suisse de Recherches Scientifiques en Côte d’Ivoire a été l’occasion pour une géographe ivoirienne de tirer la sonnette d’alarme sur le désordre urbain qui règne à Abidjan, notamment dans le domaine de l’urbanisme. Une situation qui n’est pas sans conséquence.
Docteur en Géographie et enseignante de son état, Lydie Chantal Madou ne s’est pas faite prier pour décrier ce désordre environnemental qui bat son plein dans le domaine de l’urbanisme à Abidjan. Ceci au grand dam des autorités. Faiblesse ou complicité ? Difficile de répondre à cette interrogation. Ce qui est certain, le secteur de l’urbanisme va mal. « On peut dire que le secteur de l’urbanisme va mal en Côte d’Ivoire et plus précisément à Abidjan pour la simple raison que les populations ne respectent pas les lois qui sont éditées », affirme Dr Lydie Chantal Madou.
Elle trouve d’ailleurs inconcevable que dans un pays de droit les choses puissent se passer ainsi. « Les constructions sont faites sans même préalablement demander un permis de construire. Des espaces dits non constructibles sont occupés au vu et au su de tous », dénonce-t-elle.
Pour notre experte, deux causes fondamentales expliquent cet état de fait. La première c’est l’incivisme des populations qui selon elle, ne respectent pas les règles qui sont éditées. Et la seconde est tout simplement due au laxisme de l’administration. « L’administration ne fait pas son travail comme il faut », dira-t-elle. « On ne peut pas comprendre qu’on laisse des populations construire sur des zones qu’on sait qui sont non constructibles » poursuit- elle.
Et cette situation aux multiples conséquences est fustigée par Dr Lydie Chantal Madou avec des preuves qui vous donnent froid dans le dos. «Vous voyez des habitants sous des lignes de haute tension, à un mètre », déplore-t-elle en se penchant sur le cas spécifique du secteur dénommé ‘’au sable’’ sis dans la commune de Yopougon où des activités économiques se développent dangereusement sous des lignes de haute tension. « Normalement, les constructions ou les activités doivent se faire à 15 mètres de ces lignes de haute tension, mais malheureusement c’est sous ces lignes que ces activités se font », précise-t-elle avec regret. Et ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres dans le district d’Abidjan.
Face à ce qu’il convient d’appeler un désordre urbain, Dr Madou invite les autorités à réagir parce que les conséquences sont énormes. D’abord au niveau économique, les constructions anarchiques ont souvent été à la base de nombreuses inondations avec leurs cortèges de dégâts matériels et financiers. « Après les récentes saisons de pluie, le centre urbain communautaire de la Riviera a été envahi d’eau rendant les dossiers médicaux des patients irrécupérables. La bâtisse elle-même doit être réhabilitée. On a vu des poteaux électriques tombés », soutient-elle.
Au niveau humain, l’on se souvient encore, un immeuble en construction s’est écroulé en mars 2020, à Abatta, village situé dans la commune de Bingerville. On notait un mort et plusieurs blessés. 3 mois après, c’est-à-dire en juin 2020, un immeuble R+4 s’écroule à Yopougon Cité Verte. Le bilan fait état de 3 décès dont un bébé. Nul n’ignore aussi le drame d’Anono, commune de Cocody, le vendredi 12 mars 2021, avec un pire bilan de 13 morts et une douzaine de blessés suite à l’écroulement d’un autre immeuble. Pour ne citer que ces cas.
Au plan environnemental, il convient de noter avec notre experte qu’une ville qui subit les constructions anarchiques se dégrade et perd son esthétique. « En matière d’urbanisme, il y a des embellissement qu’on fait. Mais si les espaces qui doivent être réservés pour ça sont occupés pour des activités ou des habitations, il est évident qu’on n’ait plus une ville en tant que telle. On a juste une juxtaposition de bâtisse sans réelle construction de la ville. Et on assiste dans ce cas-là à un désordre urbain tout simplement », dixit Dr Lydie Chantal Madou.
Pour mettre un terme à ce désordre, elle préconise un répertoriage sur l’ensemble du territoire de tous les espaces non constructibles que sont les pentes, les vallées et autres afin que ceux-ci soient aménagés. Selon elle, cela peut se faire à travers la création de jardins botaniques, d’espaces verts ou même de planting d’arbres. Toutes choses à mettre sous l’autorité des collectivités territoriales de sorte à ce que ces espaces ne soient pas recolonisés par les populations. « Parce qu’on dit souvent que la nature a horreur du vide », renchérit-elle.
Pour terminer, la géographe souligne que la méconnaissance des règles d’urbanisme par les populations est à la base de cette situation. « On rédige des textes qui restent dans les tiroirs », dira-t-elle avant de recommander : «’il faut faire une large diffusion de ces textes qu’on élabore ». « Si on prend Abidjan par exemple, le plan d’urbanisme directeur qui est élaboré peut être placardé dans les mairies de sorte que celui franchit la porte puisse avoir quelque chose qui attire son attention », préconise-t-elle. Non sans soumettre l’inclusion des règles d’urbanisme dans les programmes scolaires. Ce qui permettra aux enfants de grandir avec l’idée selon laquelle, il y a des règles à respecter lorsqu’on veut bâtir une ville. Nous osons espérer que les autorités seront de plus en plus regardantes sur la question de l’urbanisme pour ainsi permettre à la capitale économique ivoirienne de mieux se porter et assurer son développement durable.
GEORGES KOUASSI
k.georges@afriquegreenside.com