Chaque jour, ce sont des milliers d’Abidjanais qui traversent la lagune ébrié à divers endroits via des pinasses pour aller vaquer à leurs différentes occupations. Et cela dure plusieurs années. Cependant les conditions de déplacement et la vétusté de ces bateaux artisanaux suscitent des inquiétudes. Si avant l’arrivée des bateaux bus de la SOTRA, puis ensuite ceux des compagnies STL et CITRANS, ces pinasses étaient considérées comme les reines de la lagune, aujourd’hui, la tendance devrait changer. Et pourtant…
Ce lundi 23 décembre 2019, il est 17 H 45 mn. Nous sommes à M’pouto, commune de Cocody précisément à la gare des pinasses ralliant Mpouto et Marcory Sans fil. Plusieurs travailleurs pressés de regagner leurs domiciles après le boulot se précipitent à bord d’une pinasse de fortune dont la vétusté ainsi que l’inexistence de dispositif de sécurité et de sauvetage sont visibles de tous. Pas de bouées de sauvetage, pas d’extincteur. Le soi-disant pilote qui tient la vie des centaines de personnes en vie, est lui-même formé sur le tas selon certaines indiscrétions. En toute sincérité, il y a une légèreté et une négligence déconcertante dans ce type de transport lagunaire.
Difficile de vous dire combien de personnes contenait la pinasse ce jour-là. Toujours est-il que l’objet flottant qui pliait visiblement sous le poids de l’âge était plein à craquer. Nous sommes largement au-delà de la charge autorisée qui est de 60 places assises comme indiqué par le vendeur de ticket trouvé sur place qui a requis l’anonymat. Quelle légèreté et manque de considération vis-à-vis de ces pères et mères de familles qui ne peuvent que confier chaque jour leur sort au bon Dieu afin de les épargner de toute catastrophe et annuler toute situation chaotique !
Des passagers de tous âges y étaient installés après avoir déboursé la somme de 200 FCFA pour acquérir le ticket faisant office de titre de transport. Une dizaine d’entre eux en position debout par manque de places assises sont suspendus tels des chauves-souris accrochés dans les arbres au Plateau. Cela donne exactement la même image que dans les bus de la SOTRA aux heures de pointe. Quand on s’imagine que tous ces passagers ne savent pas forcément nager, le spectacle que nous offre ce bateau artisanal bondé de monde fait froid dans le dos.
Après plusieurs tentatives de démarrage, le ronronnement du moteur se fait entendre. Direction Marcory Sans fil. Après à peine 15 mètres de parcours, le moteur arrêta de fonctionner. La pinasse s’immobilisa alors un instant avant d’être trimbalée par la direction de l’eau qui n’a rien à voir avec la destination prévue. Les questions fusent alors de toutes parts : « Qu’est-ce qui se passe ? S’exclament les uns. « Est-ce un problème de carburant ? », s’interrogent les autres. Pendant ce temps le pilote lutte en vain à faire redémarrer le fameux moteur. Il va enfin y parvenir après environ 10 minutes. Ouf ! Ce fut laborieux. La pinasse peut enfin retrouver sa trajectoire normale après un instant de frayeur généralisée tant au niveau des passagers dans la pinasse que qu’au niveau de ceux qui se trouvent sur la rive.
Et pourtant, juste à côté de cette gare de pinasses se trouve celle de la compagnie lagunaire STL avec des bateaux bus de luxe dotés de toutes les commodités, des mesures de sécurité et de surcroit au même tarif de 200F. « Pourquoi ces passagers mettent-ils leur vie en danger pendant que les bateaux bus sont là ? », me suis-interrogé. Saïdou Sakir, un commerçant ambulant venu sur le quai, lieu de forte affluence pour espérer vendre quelques articles intervient en ces termes. «Les bateaux bus que tu vois là, ils ne vont pas à Sans fil. Ils vont à Koumassi 32, à l’INJS ou au Plateau». Cette réponse nous a donné de comprendre qu’il y a bien de lignes lagunaires de forte affluence qui restent inexploitées par les compagnies modernes de transports lagunaires.
Autant dire que dans de telles circonstances les habitués aux embarcations de cette ligne n’ont pas le choix face à une situation qui s’impose à eux. Les propos de Blé Jean-Jacques l’attestent bien. Lui qui attendait impatiemment la prochaine pinasse. « S’il y avait un bateau bus sur cette ligne j’allais faire quoi dans pinasse », s’interroge-t-il avec regret.
Nous pensons qu’une compagnie moderne de transport lagunaire sera la bienvenue pour assurer la desserte Mpouto-Marcory Sans fil. Oui, il le faut, car les abidjanais méritent mieux que la pinasse en ce 21ème siècle. Malheureusement la négligence et l’indifférence coupables sont des ‘’qualités’’ propres aux ivoiriens et leurs dirigeants. Plutôt que d’anticiper sur certaines situations, en attentistes patentés, nous attendons toujours que le pire se produise avant de chercher des hypothétiques secours dont l’arrivée tardive n’apporte souvent pas grande chose.
GEORGES KOUASSI
k.georges@afriquegreenside.com